Vers une nouvelle vague

Il y aura toujours des vers à écrire.
Parce qu’il y aura toujours des mots à dire.
Des choses à changer.
Des tristesses à consoler.
Des souvenirs à exorciser.


Première vague: des vers pour parler d’amour

Touchée par la détresse de plusieurs amies qui se sont séparées ou sont en train de se séparer de leurs compagnons, j’ai voulu mettre sur papier ce qu’elles pouvaient ressentir. De celles qui prennent elles-mêmes la décision de partir, il n’en est pas question ici.
Mon plaisir de rimer, je l’offre aux blessées, aux abandonnées, aux amoureuses qui n’arrivent pas à rebondir et à se reconstruire.
Car, moi aussi, j’ai des souvenirs d’amours cassées, qui datent de plus de vingt ans, mais restent éternels.

La séparation

Depuis qu’il est parti et l’a laissée,
Elle vit en en ermite, amorphe, trop blessée
Pour se hisser hors du fossé
Où l’engloutissent les souvenirs du passé.

Du fond du trou où elle se noie,
Les murs sur lesquels dérapent ses doigts
La cadenassent dans un bloc d’effroi
Où les regrets deviennent les uniques rois.

Regrets d’avant, quand il était encore là,
A l’entourer d’amour et d’ardents ébats,
A la sortir au creux de ses bras
Dans des jardins enchantés et de gaies vérandas.

Mais son amour à lui s’est enfui
Vers d’autres envies, d’autres bruits.
Elle reste seule, en manque de lui,
Avec un coeur tout liquide de pluie.

Son départ a détruit l’équilibre
Sans lequel elle ne sait plus comment vivre.
A longueur de journée ses paupières délivrent,
Des ruisseaux amers qui, eux, coulent libres,

Quand le reste de son corps n’est plus que glace,
Et tremble, et lutte, pour retrouver une place,
La soutenir et l’aider à faire face
A l’avenir morne, gris, inerte et sans grâce.

L’amour est parti et ses yeux pleurent.
Pour un oui, pour un non, à toute heure,
Les larmes le long de sa joue affleurent
Tandis que ses frêles sourires ne sont que leurres.

Il faut bien continuer à rire pourtant
Afin de donner le change aux enfants, aux passants.
Parler, s’émerveiller, faire semblant,
Tout en essuyant ses larmes d’un doigt frissonnant.

Mais le rire se crispe sur la bouche
Qui, devant les images du passé en escarmouche,
Pour un mot, pour un rien, s’effarouche.
Elle se contracte, elle crie, farouche

Et triste, à hurler, à mourir,
A ne plus avoir aucun désir.
Une bouche tremblante de soupirs,
Et de “je t’aime” inutiles qu’elle ne peut retenir.

Revoilà les larmes traîtresses, elles débordent des yeux,
Ces grands yeux vides de pensées, malheureux,
Qui fixent l’infini béant du ciel bleu
En rêvant d’un impossible retour à deux.


Il y a vingt ans

Tuer son amour pour l’homme qui nous quitte:
C’est là une gageure infernale
Dont rien ne garantit la totale réussite.
L’aventure est pourtant parfaitement banale.

Mon histoire à moi a plus de vingt ans:
Je sortais à peine des naïvetés de l’école;
Il était passionné, sûr de lui et plein d’allant.
Il me fascinait, je l’admirais, j’en étais folle.

Puis un jour il m’a jetée hors de sa vie.
Il a gravé sur mon front le mot fin.
Il avait raison: l’énergie, les envies,
Fuient. Tout s’arrête, sans qu’on ait plus de goût à rien.

On traîne misérablement les pieds, on souffre.
Le ventre se tord, il gémit, il a si mal.
Les cris de révolte s’y engouffrent
Pour déchoir l’homme de son piédestal.

Pendant des mois j’ai eu besoin de Le voir et d’entendre
Son humour ravageur et sa verve.
C’était mourir que de devoir prétendre
Que je n’avais plus le droit qu’Il me les serve.

Il était là, et tellement loin cependant,
Il brillait comme un soleil.
Ses paroles et ses regards ardents
Me poursuivaient jusque dans mon sommeil.

Ne plus penser à Lui,
Avancer vers demain avec un coeur trop lourd,
Vider ses yeux de toute la pluie
Qui nous susurre qu’il n’y aura jamais de retour.

Oui, c’est mourir lentement, à petit feu,
En trébuchant sur sa détresse.
Les jours gris et malheureux
N’arrivent pas à se remplir d’allégresse.

Et pourtant, comme on essaye de se guérir!
On écrase nos émotions, on les broie.
Cela fait trop mal de souffrir,
On sort dans les bars, on s’y noie.

On s’accroche pour penser à autre chose
On fait mille projets fous.
On veut croire à notre métamorphose
Qui rendrait notre sourire si doux.

Malheureusement, à la moindre petite halte,
Notre corps trop vide le réclame.
Les larmes pleurent et exaltent
Ses appâts qui encore, hélas, nous enflamment.

Moi, j’avais beau faire et m’investir,
Ma tête sans arrêt refusait le sevrage.
Toujours elle brûlait de tristes soupirs
Où mon manque de Lui m’enfermait dans une cage.

Je pensais à Lui aux moments les plus inattendus.
Alors même qu’une joie m’était enfin permise,
Un pincement sournois me rappelait mon bonheur perdu
Et m’enchaînait de nouveau pour que j’agonise.

Il faut des mois pour que ce mal être insidieux
Peu à peu reflue et s’apaise.
Moi, je suis restée prisonnière de mes regrets odieux
jusqu’à ce qu’un autre homme enfin me plaise.


Deuxième vague: des vers pour prendre conscience

Des bourrasques de masques

Il y a des gens qui jettent par terre leurs masques
En croyant qu’un simple jet de bourrasque
Va les emporter, par une magie fantasque,
Vers quelque poubelle proche, bretonne ou basque.
Le miracle n’a pas lieu, quelle surprise.
Aucun coup de vent, aucun souffle de brise
Vers un lieu propice ne les vaporise.
C’est au sol, au milieu des fleurs et des cerises
Que, par centaines, livides, tristes et flasques,
Loin de leurs congénères, ils agonisent.


Les fleurs de plastique

Un paquet de cigarettes vide traîne par terre.
Un peu plus loin, au pied d’un réverbère
S’effeuille la dentelle blanche d’un mouchoir
Par dessus la tristesse morne d’un carton noir.
Accrochées aux bourgeons d’un pommier gigantesque
Des fleurs de plastique déchirées, grotesques,
Font danser obstinément leurs pâles squelettes.
Ca baille au vent, ça s’arrache, ça volette
Jusqu’aux buissons mauves qui soupirent là-bas.
Les déchirures de plastique s’y accrochent de tous leurs bras.
Elles se font rubans de pétrole, robes chimiques.
De loin on pourrait croire à une danse féerique,
Danse d’étoiles bleues, de papiers roses,
Avec partout du blanc couleur de cirrhose.
D’un peu plus près quelle métamorphose !
La nature se salit, elle étouffe, elle se cyanose.
Sous ces attaques féroces et imprévues
Elle se retrouve faible, comme mise à nu.
Elle succombe, elle ne peut pas lutter.
Peu à peu ses feuilles brillantes se font dévorer
Par tous ces déchets jetés là, par paresse :
Bouteilles vidées synonymes d’ivresse,
Sacs en papier, canettes, déchirures de plastique,
Salissures immondes, immangeables, toxiques
Et pour la nature hautement indigestes.
Hélas la pauvre doit s’empiffrer de ces restes.
Elle n’a pas le choix, elle doit subir
Tout ce que la main de l’Homme lui fait souffrir.
Alors elle pleure sur les fleurs de plastique
Qui, désormais, sur ses délicats pétales, se répliquent,
Et la rongent, l’emprisonnent, la mastiquent.
Non, vraiment, il n’y a là rien de féerique.


L’Ennui

Quand tombe la nuit
Ou quand dégringole la pluie,
Quand on est seul, loin des bruits,
Et que tout désir, toute envie
De lire ou de rêver, nous fuit,
Alors disparaît le réconfort de l’abri.
Ce qui vient, plein de furie
Et de pièges, c’est l’Ennui.

Le téléphone pleure
Sur les amis qui ne sont pas là.
Le téléphone est un leurre
Où les amis ne répondent pas.
On réessaye un peu plus tard
Quand pèse trop lourd le cafard
Mais seul le répondeur décroche
Et, d’une voix qui paraît trop proche,
Nous suggère de laisser un message,
Comme s’il suffisait d’émettre un témoignage.

Qu’est-ce qu’on pourrait bien faire
Pour que les heures s’accélèrent ?

Il faut lui tordre le cou
A cet Ennui à la fois lourd et flou.
Il est si peu palpable,
Il n’est ni peur redoutable,
Ni force ou colère implacable.
Pourtant il rôde, il épie, insatiable.
Il nous vole notre énergie,
Il massacre nos envies.
Il se fait lassitude, attente,
Qui balaient ce qui d’habitude nous tente.

De nouveaux appels à l’aide
Sur nos écrans tactiles se succèdent.
Hélas le téléphone toujours sonne dans le vide
Et renvoie à nos oreilles avides
Les voix toujours aussi placides
Des répondeurs insipides.

Que vienne demain, vite, plus vite,
Et que les amis retournent dans leur gîte.
Les mots alors échangés dans l’espace
Pour un temps feront perdre à l’Ennui sa place.
Il reculera, vaincu et soumis,
Prêt cependant, à chaque abandon d’amis,
A rejaillir d’autant plus fort et lancinant,
Qu’il aspire notre entrain comme un aimant.


Troisième vague: des vers à mettre en musique

L’attente

L’attente
Commence par la joie
La foi
L’excitation palpitante.
Puis arrivent les doutes
L’anxiété, la colère,
L’incompréhension amère,
Tous ces noirs sentiments qu’au fond on redoute.
C’est l’attente désespérée
Du téléphone qui ne sonne pas
De la lettre qui n’arrive pas
Du mail peut-être égaré.
Maudite attente
Qui se compte en heures, en jours
Pour les victimes de l’amour
Arc-boutées à mi-pente.
Qui se calcule aussi en semaines,
Parfois en mois.
Que faire alors de la joie, la foi
Et des espérances vaines?
Janvier, février passent
Et puis mars, avril, mai.
Le coeur pleure, et se tait
L’espoir trépasse.
Jusqu’à ce que, tout à coup,
Enfin: quelqu’un répond.
Ce sera oui, ce sera non
Ce sera les rires ou bien le dégoût
Le début d’un rêve
Ou un autre qui s’achève.


Si la Terre pouvait parler

Si la Terre pouvait parler
Elle raconterait de drôles de choses.
Elle parlerait du vert intense des forêts
Et des soleils en flamme dans le ciel rose.

Elle peindrait le bleu limpide de l’eau qui chante,
Source de vie, poumon liquide,
Qui dégringole en rivières étincelantes
Ou se fige en banquises au bord du vide.

Et là, la Terre se mettrait à gémir:
Parce que les banquises peu à peu s’écroulent
Elles ruissellent en poussant mille soupirs,
Elles gonflent les tsunamis, les typhons et la houle.

Elle dirait qu’il y a trop d’eau dans les océans
Mais pas assez dans les déserts,
Trop de naissances, trop d’habitants
Mais pas assez de nourriture et d’air.

Elle sait les villes où le ciel n’est jamais bleu
Et où les oiseaux immobiles se taisent.
Elle connaît des pays assoiffés, des pays en feu,
Et d’autres qui débordent de corps obèses.

La Terre pleure, elle ne parle plus.
Elle a peur de ne pas pouvoir être sauvée.
Elle pleure ses richesses dilapidées, disparues
Que, rien, jamais, ne pourra remplacer.


L’enfant qui regarde

Tu es là, tu me regardes
De tes grands yeux tu me souris
Tu m’imagines avec une hallebarde
pour t’éviter tous les soucis.
Je devrai être à la hauteur
De tes besoins, de tes attentes.
Mais il faudra bien que tu aies peur,
Que tu aies mal et t’impatientes.
Je ferai tout, oui, tout, pour t’aider
Te blinder, te faire rire, te soutenir.
Toi tu pourras rêver, mais aussi lutter,
Car c’est cela aussi grandir.
C’est découvrir, s’émerveiller,
Pleurer parfois, tomber. S’amuser, souvent
Se relever, projeter, étudier
C’est ça être un enfant.