Printemps-Eté 2018


Au fil des pages…
La mère

Un petit corps dodu, deux petons adorables
Une bouche sucrée qui pépie des bulles jetables
Le ventre est chaud, les cuisses potelées
Quel plaisir pour la maman de les baiser.
Mais un jour les mots de cette bouche sortent par touffe.
A coup de pourquoi insensés la maman étouffe:
Elle ne comprend pas, se rejette d’horreur.
Quoi: son bébé câlin est devenu parleur!
Il faudrait réfléchir, trouver des réponses,
Ouvrir son coeur aride à ce chemin de ronces
Qui n’est déjà plus son petit. Pour elle il n’existe pas.
Il n’est évidemment pas question de le prendre dans ses bras.
Ah! Retrouver un corps muet, souple, un oiseau miniature,
Des petits doigts accrocheurs en forme de dentelure.
Laisser de côté cette grande tige qui s’agite
A la recherche d’un peu d’amour et d’un gîte.
Vite! Fabriquer un deuxième bébé, le porter, l’amener à la vie
Et ne plus voir le frère aîné crever d’envie.
Qu’il se débrouille seul! Elle n’a pas demandé à ce qu’il grandisse.
Elle veut juste pouponner. Quel injuste supplice
Quand les bébés se mettent à devenir grands
A parler, à penser, à prendre des ans.
Comment assumer jusqu’au bout son rôle de parent?
Peut-être aurait-il fallu commencer par ne pas avoir d’enfants.
Non! Bébé!

Non ! Bébé, ne grandis pas !
Garde tes cuisses potelées, tes petons minuscules,
Tes fossettes canailles qui en tout sens gesticulent.
Continue à m’aimer, à me tendre tes petits bras !
Stop le temps ! Arrête-toi, laisse-moi en profiter !
Que cette minute de bonheur que je t’arrache
Dure des jours, des années, sans que rien ne la gâche.
Bousille l’horloge, et l’aiguille, et les rouages entêtés.
Je ne veux pas de l’avenir, il est trop différent.
Je lui préfère le présent : cet instant-ci pris sur le vif,
Où mon corps se presse contre le tien si tendre, si émotif,
En allumant au fond de mon cœur un bien-être presque trop grand.
Mais voilà que tu grandis, tu me dépasses. Ta voix mûrit,
Cette petite voix d’enfant si gazouillante, si émouvante.
Je ne l’entendrai plus que sur les vidéos ; elle devient fuyante.
Mes yeux la cherchent, la rêvent, ils en deviennent ternis.
Tu ne connais plus le chemin de mes bras, tu l’as oublié.
Tu me parles, bien sûr, tu as toujours besoin de moi.
Dans ta haute silhouette c’est alors le petit que je revois,
Celui d’avant, celui que j’ai perdu dans ce combat insensé.
Combat contre le temps, lutte inutile hélas et déprimante.
Mon amour, tu t’avances vers l’adulte que tu seras demain.
Bientôt tu partiras, tu me laisseras vide de tous ces matins
Nourris aux câlins, aux caresses et aux crises de rires démentes.
Oh l’insupportable silence qui roucoule ma défaite.
Je n’ai pas pu vaincre le temps qui jamais ne s’arrête.
Au contraire il galope, il me pousse à reconstruire une nouvelle vie
Où seront bannis les sourires béats de mon tout petit.
Arrêt sur image ou l’impossible retour

Les rires explosent, les mots fusent.
On mange, on boit, on danse, on s’amuse.
Les heures coulent. Il est déjà tard.
Les invités rentrent chez eux retrouver leur plumard.
C’est donc la fin. Si vite? Que s’est-il passé?
Pourquoi le temps a-t-il couru au lieu de se prélasser?
Et maintenant que reste-t-il? Un peu de bien-être
Qui, hélas, s’envolera au matin par la froide fenêtre.
Recommençons la semaine prochaine
Chantent en boucle les disques et leurs vieilles rengaines.
Elle a beau jeu la musique de se vanter,
Puisque pour elle tout peut toujours se rejouer et se recomposer.
Alors que pour nous, rien n’est jamais pareil.
Un jour sous la pluie, le lendemain brûlés au soleil.
Il n’y a jamais de recommencement
Mais des prolongations, des sosies, des moments toujours différents.
Ah! Retenir ces fous rires, ces gestes complices
Se replonger dans ces regards tendres d’enfants qui de jour en jour grandissent
Et s’éloignent ; et qui, propulsés comme par une catapulte
Glissent pas à pas vers l’âge adulte.
Il n’y a ni arrêt sur image ni retour en arrière.
Seulement des rondes de visages changeants et des fêtes éphémères
Qu’on égrène avec détresse au fil des jours
En espérant revivre d’anciennes amours.
La fête de demain sera peut-être mieux que celle de la veille
Ou peut-être moins bien.
Elle sera à chaque fois différente, de plus en plus vieille,
Jusqu’à ce qu’un soir claque le mot fin.
Un meurtre domestique

Elle git à terre, la lèvre éclatée, l’œil sombre, atone,
Enorme diamant liquide enchâssé dans la paupière aux teintes d’automne.
Craintive, elle guette des bruits de pas, le cri du téléphone.
Elle ne bouge pas, figée par la douleur qui, dans tout son corps, bouillonne.
Est-il vraiment parti ? Le cauchemar s’arrête-t-il là pour ce soir ?
Elle écoute encore. Seuls ses gémissements plaintifs trouent le noir
Qui l’enveloppe comme une couverture de soutien, un élan d’espoir,
En l’empêchant de regarder son visage tabassé dans les miroirs.
Elle crispe ses mains sur son ventre agressé, elle s’y accroche, elle le sert.
C’est la première fois qu’il la frappe alors qu’elle est à terre,
La première fois qu’aux baffes, il mêle les coups de pied pervers,
Chargés d’une injuste et révoltante colère.
A son retour, il n’avait pourtant pas l’air d’avoir tellement bu.
Il criait, lui reprochait sa voix à son oreille trop aigüe,
Sa cuisine trop peu raffinée, ses fesses dodues.
Puis les coups s’élancèrent avec ardeur à l’assaut de la chair nue.
Elle s’interroge : il était si doux et attentionné au moment de leur mariage.
Depuis, faible devant les déceptions de la vie, muré dans une sordide cage,
Il reporte sur sa femme sa frustration, sa rage,
Comme si les coups de poing libérateurs lui servaient de nettoyage.
Elle l’aime toujours, elle l’excuse, elle veut lui pardonner.
Ses larmes coulent à flots sanglants sur ses joues tuméfiées.
Elle a mal, elle a peur, mais n’a pas la force de le quitter.
Elle rejoindra sous peu la cohorte des femmes qui, chaque jour, par leur mari, se font tuer.
La rencontre

Comme tous les soirs, Juliette rentre seule du travail.
Elle flâne en chemin, personne ne l’attend au bercail
Elle s’achète à dîner, téléphone à des amies,
Tout en feuilletant quelques livres dans une librairie.
Son esprit déambule entre ses élèves, leurs difficultés,
Et sa sortie du jeudi avec ses collègues de la faculté.
Elle pense aussi à ses prochaines vacances en Amérique.
Elle a tant à faire, et le temps n’est pas élastique.
Sans qu’elle s’en rende compte pourtant, il la précipite
Vers La Rencontre qui va transformer sa vie et ses principes.
Il sera là, à cette soirée entre professeurs.
Et tout de suite, elle lui donnera toutes les fibres de son cœur.
Hier indépendante et libre, aujourd’hui elle ne voit plus que lui.
Elle tâche de retrouver chacun des mots qu’il lui a dits.
Elle se les répète sans cesse, elle s’y enroule.
Délicieusement elle s’en exalte et s’y glisse comme dans un moule.
Oubliés ses amies, ses projets pédagogiques.
Envolés ses rêves d’évasion dans les grands parcs d’Amérique.
En un jour Il s’est fiché violemment dans sa vie,
Il occupe désormais toutes ses pensées, toutes ses envies.
Il la tient en son pouvoir, elle n’est plus la même.
Les mots qu’elle fredonne se remplissent de tendres je t’aime.
L’existence est ainsi : un jour routinière et lente
Puis soudain, à la suite d’une rencontre excitante,
Sur un chemin inexploré elle se réoriente.
Tous les projets passés alors se réinventent.
La petite plume

C’est une petite plume tristounette, froide et légère,
Qui s’envole au gré des désillusions, loin de ses congénères.
Elle se détache de mon cœur, cruelle passagère.
Jamais je ne pourrai la ramener de là-haut, en arrière.
Elle est l’insulte que tu m’as méchamment adressée,
La phrase de réconfort que tu n’as pas su me donner.
Des occasions manquées, elle constitue le reflet.
Elle se nourrit de mes déceptions et de tous mes regrets.
Petite plume arrachée de l’arbre de notre amour,
Feuille fragile tombée sous les coups répétés de tambour;
Du haut de sa détresse, elle subit l’horrible compte à rebours
Qui déclame que les morceaux décollés ne peuvent jamais négocier leur retour.
L’une après l’autre, sous l’effet du temps et de tes mauvaises réactions,
Plumes et feuilles quittent le nid, elles dégarnissent le tronc.
A l’été des amours succède l’automne, puis l’hiver dénudé répond.
Que restera-t-il de notre vie commune si nous ne faisons pas plus attention ?
Les clairs grelots de mon cœur qui scandent tendrement ton nom
Ne seront plus que mille, puis cent, après avoir été des millions.
Et quand une fois encore tu te comporteras comme un pauvre con,
Je claquerai la porte et entrerai en rébellion.
La corne d’abondance

Abondance de biens ne peut pas nuire
Se dit le riche pour excuser son besoin obsédant d’assouvir ses désirs:
Une voiture, une troisième maison dans le Sud, digne d’un émir.
Pour sa femme, un cheval bai, un bracelet et un collier de saphirs.
Le fêtard court d’une fête à l’autre, il écume les soirées.
Il prétexte toujours un nouveau bar à visiter,
Une ancienne connaissance avec qui discuter.
Il boit, il danse, il joue ; il est incapable de s’arrêter.
Le mari infidèle aime sa femme et ses enfants.
Mais il a aussi besoin de vivre des moments plus excitants,
De bêcher un petit jardin secret qui lui sert de piment.
Ses rendez-vous avec sa maîtresse l’aident à se sentir bien vivant.
Les enfants, quant à eux, parlons-en :
Ils résument à eux seuls les désirs les plus violents
D’en avoir toujours plus : un nouveau jouet, de l’argent,
Le même pantalon de marque que les grands.
Et le pauvre, lui, qui, chaque jour, cherche un moyen de subsistance ?
Oublié de la société de consommation et de ses dépendances,
Il n’a pas le loisir de rêver au sens de son existence
Lui sait se satisfaire de la nourriture de la dernière chance.
Qui est le plus heureux?
L’avide dépensier ou le nécessiteux?
L’éternel insatisfait qui vise toujours mieux
Ou l’homme qui au superflu accepte de dire adieu?
Egalité

Elle a les jambes longues et lisses, le ventre doux,
Des rondeurs moelleuses qui interpellent le regard brillant des bijoux.
Lui est grand, costaud, joueur et poilu,
Il s’enorgueillit avec morgue de ses virils attributs.
Elle se préoccupe férocement de tâches ménagères
Quand lui ne voit pas les miettes éparpillées par terre.
Parfois c’est l’inverse. Il fait la cuisine
Tandis que Madame se blottit voluptueusement contre un magazine.
Parfois voilée et soumise, prisonnière des préjugés et des lois
Que les mâles ont pondu contre elle en toute mauvaise foi,
Elle souffre d’intolérance, elle se recroqueville.
Ces messieurs la disent inférieure puisqu’elle est une fille.
Ca les arrange de croire que le bon sens, l’intelligence et la force physique
Ne se concentrent que dans leurs verges égocentriques,
Tandis qu’à cause de ses fesses rondes et de sa lourde poitrine,
La femme limite ses activités à une seule discipline.
Elle aime s’habiller, se maquiller, lui préfère les voitures,
A moins qu’à son tour elle ne se laisse tenter par l’ivresse de l’aventure.
Son corps peut être fragile, dur et robuste à la fois,
Son cerveau acéré, n’en déplaisent aux esprits étroits.
Mais voilà, l’homme se veut supérieur, il prétend rester le maître.
Elle proteste, revendique l’égalité en tout, alors que son ventre, le traître,
Tous les mois, lui rappelle qu’elle peut donner la vie,
Et qu’elle n’est donc ni égale, ni inférieure ; différente seulement, de Lui.
L’esprit de famille

Qui peut comprendre le voisin de la rue d’en face
Qui, après avoir adoré sa femme, maintenant la tabasse,
Substituant à l’amour des débuts les cris et les menaces ?
Les souvenirs tendres et doux sont oubliés ; douloureusement ils s’effacent,
Comme si, désormais, seule la haine vengeresse avait sa place
Et enfermait les cœurs dans de sordides gangues de glace.
Comment comprendre les relations opposant belle mère et belle fille,
Qui, souvent, reposent sur des jalousies mesquines et d’obscures broutilles ?
L’une en veut à l’autre de ne pas être restée tranquillement dans sa famille
Et de lui avoir volé son fils, comme une boule conquérante plongeant sur une quille.
Quant à la bru, elle n’accepte pas que son mari s’éparpille
Et qu’entre sa mère et elle, un coup son amour se partage, puis se recroqueville.
Il y aurait beaucoup à dire sur les familles et leurs puériles querelles.
Les rancoeurs fusent chaque dimanche par-dessus la belle vaisselle
Parce que l’oncle du bébé l’a gardé une heure de plus que la grand-mère paternelle,
Et que c’est encore chez la tante bretonne que l’on fêtera Noël.
Pas question de retarder le réveillon d’un jour, et de jouer les rebelles.
Et tant pis si, à trop borner les esprits, les contraintes s’amoncellent.
Finalement il faut croire que les relations humaines sont expertes
Pour compliquer les situations et les rendre inertes,
Tout en poussant les pacifistes à tirer le signal d’alerte.
Que de temps passé à croire que, chez le voisin, l’herbe pousse plus verte,
Qu’il vaut mieux se détester et se venger des pertes
Plutôt que d’essayer de réparer ce qui, trop souvent, déconcerte.
Encre de Chine

Les jouets achetés la semaine dernière sont déjà brisés.
Normal : puisqu’ils ont été fabriqués en Chine.
Le miel autrefois blond et doux ruisselle de sucre manufacturé.
Normal : les abeilles agonisent au fond de leurs ruches en ruine.
Des millions d’inconnus chaque jour n’ont pas assez à manger.
Normal : il y a trop d’hommes sur Terre et pas assez de farine.
Marcher sur une plage déserte, rêver dans le silence bleu d’une nuit d’été ?
Impossible ! La planète étouffe sous l’assaut des touristes que les publicités fascinent.
Aurons-nous encore demain la joie d’entendre le chant clair des oiseaux,
Le gai babil de l’eau quand, entre les hautes herbes, amoureusement elle chemine ?
Nos yeux pourront-ils encore se repaître de la beauté gracile des roseaux,
De la délicatesse d’une fleur quand la rosée du matin l’illumine ?
Hélas ! A la place des arbres massacrés, des tonnes de béton s’empilent,
Laides, grises, obèses, berceaux de cruelles famines.
Les maladies reculent, on guérit mieux les vieux, les fragiles,
Les guerres, à l’affût, pas assez de personnes, n’exterminent.
Quant aux hommes, même abrutis par la misère, la faim, la peur acide,
Toujours ils s’acharnent à trouver le chemin des cuisses de leurs voisines.
Trop de naissances nous écrasent, trop de mœurs rigides,
Un avenir effrayant pour l’humanité se dessine.
Que mangerons-nous demain ? Des produits bourrés d’insecticides.
Où logerons-nous ? Dans des immeubles d’acier aux reflets d’usine
Où s’entasseront gens, enfants et nourriture insipide
Dont les conserves viendront, quelle surprise, d’Inde ou de Chine.
Repas de famille

Comme chaque dimanche nous fêtons les retrouvailles
Des trois frères, de la tante, accompagnée de toute la marmaille.
Sur la table du salon s’entassent les victuailles
Qui bientôt iront gaver de bon cœur nos entrailles.
Il est midi. Par quoi allons-nous commencer les discours officiels ?
Nous parlons de notre santé bien sûr, en termes substantiels.
Puis nous enchaînons sur la température et l’état du ciel.
Disserter sur le temps qu’il fait n’est-il pas essentiel ?
Nous nous rabattons ensuite sur les nouvelles locales
A nos yeux beaucoup plus importantes que les informations nationales.
La chienne de la coiffeuse a succombé à une crise cardiaque fatale.
Le maire veut, paraît-il, se faire construire une cheminée ornementale.
Deux heures plus tard, nous passons enfin à table.
Après tous ces verres bus, la position debout n’est plus souhaitable.
En entrée s’annonce le pâté de tête, met incontournable.
Suit la volaille rôtie, sèche, difficilement mastiquable.
La tante comme d’habitude allume son moulin à paroles.
Certains l’écoutent poliment pendant que les autres somnolent.
Elle nous saoule des récents progrès de son aîné à l’école,
Comme si en une semaine lui était poussée une studieuse auréole.
Vers cinq heures, s’il fait beau, nous partons en promenade
Afin de digérer les vins lourds, le pâté, la pintade.
Certains d’entre nous aimeraient bien de temps en temps s’offrir une escapade
Hors de la famille ; ils s’abstiennent de crainte des brimades.
De toute façon, à quoi occuperaient-ils leurs dimanches ?
Partir en randonnée ? Faire de l’accrobranche ?
Regarder la télévision jusqu’à ce que l’ennui se débranche
Et que l’heure de préparer le dîner enfin s’enclenche ?
Donc chaque dimanche la famille se réunit
Lors de repas rituels étincelants de monotonie.
Mais au moins il y a du monde, on mange, on boit ensemble, parfois on rit.
C’est sans doute mieux que le célibataire sans enfant, sans attache,
Qui passe sa journée à jouer à cache-cache
Avec l’ennui, vautré jusqu’au soir, seul dans son lit.
L’amour muet

Il me dit qu’il me trouve belle,
Qu’il est de plus en plus amoureux,
Comme si les dessous en dentelle
Vibraient le plus fort à ses yeux.
Mais que devient son amour
Lorsqu’il s’agit de me rassurer?
Il sait alors très bien faire le sourd.
Il ne me regarde pas, il fuit, il se tait.
Si au moins d’un oeil compatissant
Il pouvait me tenir un autre langage
Que le rugueux “je te veux, je te prends”.
Pour un couple solide, ce serait un bel hommage.
Mais non. Sans me consulter, il agit à sa guise.
Et tant pis si c’est à mon détriment.
Si j’espère ensuite des excuses, toujours elles se brisent
Sur le repli qu’il a saisi prudemment.
Demander pardon ne lui vient jamais à l’esprit,
Comme s’il ne voulait pas reconnaître ses torts.
Pire, il ne voit pas ma détresse, mon dépit.
Il se pointe tout sourire pour un baiser à ressort.
Ou alors il se met en colère.
Il croit me faire rire tant il plaisante.
Il m’abreuve de ses ennuis avec son père
Car il sait combien je peux me montrer patiente.
Lui, ce qui le qualifie, c’est le déni, le silence, le rejet.
Il aime me prendre dans ses bras pour me faire l’amour.
Mais il ne connaît pas les mots pour me réconforter.
Il ignore mon désarroi. Pour coller nos corps, par contre il accourt.
L’assouvissement physique est pour son cerveau
Le meilleur, voire l’unique moyen d’oublier maux de tête et soucis.
Au diable les belles paroles et les bons mots.
Pour lui, tout doit se régler, sans parler, au fond du lit.
Etre une femme

Un homme m’a demandé, curieux, quel effet cela faisait d’être une femme.
Malicieuse, j’ai répondu que j’en avais marre
De voir des filles sublimes vantant des réclames,
Placardées sur les murs de béton des halls de gare.
Fatalement à elles, je me compare,
Même si, bien souvent, leurs sourires se font rares.
En tant que femme, on apprécie de s’enrouler dans de beaux tissus,
Mousseline fleurie, soie rayée, satin ou laine angora,
A porter en jupe volante, en chemisier aérien, en tutu.
On se sent légère de pouvoir dévoiler jambes et bras,
Alors que les hommes, les pauvres, étouffent dans leurs lourds costumes noirs.
Quel plaisir de se farder, de se parer
Afin de se plaire un peu dans le miroir,
Afin, aussi et surtout, de se faire admirer.
Car, sans aller jusqu’à vouloir à tout prix séduire et flirter,
Il ne faut pas se voiler la face,
Ce n’est pas juste pour s’observer dans la glace
Que l’on endure soutiens-gorges pigeonnants et talons aiguille,
Et que l’on dépense autant d’argent dans les fards qui maquillent.
Sans vouloir brandir l’arrogant oriflamme
Des féministes qui refusent tout hommage,
Au nom de l’égalité, contre le harcèlement sauvage,
Et réclament le droit de s’habiller, ou non, à leur avantage,
Je dirai que c’est bon d’être une femme,
D’être complimentée sur ses jambes et sur sa tenue,
De ne pas payer la note au restaurant.
Cette galanterie ne nous prive pas de notre vertu
Et moi, j’aime que les hommes se montrent galants.
J’avoue à mon curieux qu’habitant en France,
Je ne me plains pas d’être une femme,
Au contraire de ces malheureuses voilées privées d’indépendance
Qui encourent pour un rien de pénibles blâmes.
Soumises, prisonnières de l’emprise de leur famille,
De la religion trop pesante, de l’ignorance,
Elles ne quittent le giron du père
Que pour sombrer, innocente brindille,
Dans celui du mari ou du frère.
Alors oui, c’est une chance d’être une femme française,
D’être libre de donner la vie ou de se refuser.
Même si certains regards avides mettent mal à l’aise,
Ils émanent de machos qu’il vaut mieux ignorer.
Au collègue qui m’a gentiment posé la question,
Je me dois au final de résumer mon opinion :
Nous effectuons le même travail, à diplôme égal,
Mais par rapport au mien, son bureau est plus grand,
Comme si, du roi, j’étais le faible vassal.
Et surtout, surtout, il gagne beaucoup plus d’argent.
En entendant ces derniers mots, l’homme est parti en claquant la porte.
J’ai pourtant dit la vérité. Que le diable l’emporte !
Champs de ruines

Les hommes ont érigé d’immenses cathédrales,
Des palais de lumière, des voûtes monumentales.
Puis l’intolérance religieuse a façonné Daech et les Talibans
Qui mutilent les merveilles de Syrie et d’Iran.
Une étrange dualité caractérise notre espèce :
Bâtir d’un côté ou détruire en mille pièces.
Même les plus féroces animaux n’ont pas cette méchanceté :
Les fauves se contentent de se gaver à satiété,
Quand l’homme toujours affamé convoite encore davantage,
Et est prêt pour cela à faire des ravages.
Peu lui importe les mystères et les richesses du passé.
Il aime démolir ce qu’il n’a pas su lui-même édifier.
Parce qu’il n’y est pas sensible, ou parce qu’il n’y croit pas,
Il brise sans respect ce qui ne lui appartient pas.
Il est comme le feu qui peut être si doux
Quand il chauffe tendrement du fond de son trou,
Mais qui, si on l’asticote, devient cruel et brutal
Et apprécie voracement de faire du mal.
Si encore on pouvait reconstruire à l’identique
Ces églises écorchées, ces sublimes voûtes de briques.
Hélas, après avoir illuminé les temps passés
De leurs grâces opulentes ou éthérées,
Arches gothiques, coupoles et citadelles,
Sous l’assaut des barbares, se muent en ruines éternelles.
De Rose et d’Anémone

Rose est gaie, fraîche, lumineuse et volubile.
Les rires cascadent dans sa voix, si clairs, si graciles.
Tout avec elle paraît léger, drôle et futile,
Comme si les mots diffusaient autour d’elle une aura subtile.
Tout le monde l’aime, elle est le chef de file
Derrière qui chaque collègue avec empressement se faufile.
Quand elle est là, l’ennui fuit, rendu inutile.
Rose est le soleil, la bonne copine, l’éclatante pile.
A côté d’elle pâlit la pauvre Anémone
Dont la conversation languit, bien monotone.
Elle est réservée, on la croit aphone.
Il lui manque les idées à partager, les mots qui étonnent.
C’est que dans sa bouche, l’éloquence trop souvent abandonne.
Ses paroles ne brillent pas, trop brièvement elles résonnent.
L’intelligence est là, l’empathie correctement fonctionne,
Le sens de la répartie, lui, tristement démissionne.
Alors elle travaille certaines phrases à l’avance, par tonnes,
Elle les apprend et les ressort, comme ferait un dictaphone.
Hélas ! Elle aura beau noircir de nombreuses pages vierges
Avec des histoires inattendues ou rigolotes,
Afin que l’attention des autres enfin vers elle converge,
Son maigre talent oratoire abîmera les anecdotes.
Jamais elle n’atteindra la popularité de Rose :
Le destin ne rétablit pas le juste partage des choses
Du bonheur

Le poing serré de son enfant autour de son doigt, c’est du bonheur.
Le chant clair du merle à l’approche du soir, c’est aussi du bonheur.
Et au printemps, quand sortent de terre les premières fleurs,
Jacinthes bleues, jonquilles dorées, tulipes aux mille couleurs.
Dans l’air doux des nuits d’été, il fait si bon se laisser aller,
Tranquillement siroter un verre, allonger ses jambes, rêver.
Et si sur nos joues rouges se précipitent d’enfantins baisers,
Alors l’extase nous prend par vagues, de la tête aux pieds.
Instant fugitifs et précieux qu’on voudrait retenir
Mais qui ne subsistent qu’à l’état fragile de souvenirs.
Chercher l’instant magique suivant nous pousse à courir
Vers d’autres journées paisibles, d’autres vies à bâtir.
Parfois tout s’écroule et le malheur installe ses barricades.
Tout devient gris, morne, sans espoir et fade.
Il faut alors lutter, se raccrocher aux parois d’escalade
Par où parfois une heure de quiétude se faufile en cascade.
Brève lumière, dont il vaut mieux se satisfaire.
Eclair fugace de douceur, éclat éphémère
D’un rire, d’un vin fruité, des câlins d’un frère.
Le bonheur s’y cache en fragiles rayons qu’il faut vite traire.
Des hommes et des bêtes

L’intelligence est le propre de l’Homme
Nous serine-t-on à coups bien scandés de métronome.
Voilà du moins un principe auquel on aimerait croire.
En réalité, la plupart des êtres humains en sont économes
Dans leurs désirs stupides de guerre ou de gloire.
Peut-être n’ont-ils reçu que quelques atomes
Qui, trop isolés, persistent à jouer les fantômes
Et à se cacher au fond des armoires.
Récapitulons : les enfants sont capables de rester des heures butés,
De perdre leur temps à ressasser une unique idée,
A tourner en rond au lieu d’avancer,
Répétant la même phrase, la même pensée.
Dès la naissance, ils aiment taper,
Tirer les cheveux ; leur instinct les pousse à toujours attaquer.
Dans leurs bouches innocentes fusent railleries et insultes
Qui pullulent aussi, hélas, chez les adultes,
Malgré les années passées à tenter d’éradiquer
Ces flots d’inutile et néfaste agressivité.
Bagarres à coups de barres de fer ou de poings,
Queues de poisson et doigts d’honneur à répétition sur les routes,
Malveillance sur les réseaux sociaux, embrouilles puériles entre voisins :
Tout cela pue la bêtise, sans l’ombre d’un doute.
Si l’on y ajoute les quantités astronomiques de détritus
Jetés par terre, dans la nature, dans les rues :
Cigarettes, canettes de bière, papiers d’emballage,
Sacs en plastique déchirés ou objets hors d’usage.
Alors là, le Sage crie au scandale, il ne comprend plus :
Au lieu d’agir pour sauver la planète, l’Homme la pollue !
Il faut dire que l’on peut s’attendre à tout
De la part d’êtres qui votent pour des fous.
Donald Trump apparaît comme la meilleure preuve
De la bêtise profonde dans laquelle les Hommes s’abreuvent.
Ils sont paresseux, méchants, égoïstes, mesquins,
Profiteurs, bêtes enfin, dangereusement influençables.
A se demander ce qu’ils ont dans le crâne. Sans doute des litres de sable,
Ce qui finalement laisse l’intelligence à la merci de quelques-uns,
Les rares élus, indispensables et irremplaçables.
La bascule

A la faveur d’un instant, c’est toute une vie qui bascule :
D’un regard croisé, l’amour plante ses profonds tentacules.
Et d’un coup disparaît la solitude, les rendez-vous soudain pullulent.
Vers les compromis de la vie à deux les amoureux se bousculent.
Pour fabriquer un bébé, les minutes aussi sont brèves,
Mais pour de nombreuses années la liberté alors s’achève.
L’enfant participe à la vie de ses parents sans trêve.
Tout tourne autour de ses envies, de ses déboires, de ses rêves.
Au bout de vingt ans, un beau jour, il claque la porte.
Comme un raz de marée, la détresse nous emporte.
La vie centrée, partagée avec lui, est morte.
Il faut trouver un nouvel objectif afin qu’elle s’y déporte.
Les premiers mois, la chambre désertée reste un sanctuaire,
Avec ses livres et ses vieux vêtements, laissés en repères.
On se souvient, on s’y vautre, la nostalgie opère,
Comme s’il pouvait y avoir un quelconque retour en arrière.
On se rend finalement compte que l’enfance
A laissé place à un adulte qui tente ailleurs sa chance.
Il vient de moins en moins chez nous passer ses vacances.
Sa chambre abandonnée s’enfonce de plus en plus dans le silence.
Il est temps de dépoussiérer nos âmes à la dérive
Et de transformer la tanière dorénavant inactive.
On se réapproprie le lieu, on s’y active,
Et tant pis si de ses souvenirs chéris, on le prive.
La chambre d’adolescent devient une pièce pour recevoir.
On retire les posters déchirés, le vieux bureau à tiroirs.
On y accueille les amis qui restent parfois dormir le soir.
Il faut bien un peu de compagnie pour ne pas trop broyer du noir.
Règles de vie

On rêve toutes d’avoir un homme dans notre vie.
Mais pourquoi vouloir à tout prix habiter avec lui,
Et devoir jouer le rôle de la mère en plus de l’amie ?
Lui faire à manger, laver son linge, partager ses ennuis ?
Les femmes en couple depuis longtemps ont bien compris
Que les corvées quotidiennes accrochées à la routine
S’acharnent vite à détruire l’harmonie
Des amours passionnés qui vibrent en sourdine.
Le fait même de dormir à deux dans un lit apparaît comme une épreuve tenace
Quand, pendant toute son enfance, on a eu droit à sa couche personnelle,
Sans restriction de mouvements ou de place,
Sans ronflements parasites et sans gestes rebelles.
Plus grave, les affaires de Monsieur partout s’éparpillent :
Des chaussettes sur la chaise, un sac de sport dans le corridor…
Lui ne les voit pas, ce ne sont que des vétilles.
Mais pour nous, ces tas de tissus insultent le décor.
Nos attentes réciproques sont en fait difficilement compatibles,
Même si la société nous élève dans l’idée contraire.
Elle impose le modèle du couple comme l’objectif phare, la cible,
Gage de réussite et de bonheur sectaire.
Et si ce bonheur se trouvait dans une règle sociale différente ?
Une vie, seule ou parmi ses pareilles, sans homme à demeure,
Ne laissant de traces autres que celles des souvenirs qui tentent,
Qui exaltent, sans pour autant encombrer les heures ?
Une idée du bonheur

Qu’est-ce que le bonheur? Comment l’atteindre
Sans aussitôt le laisser fuir? Comment le garder sans l’éteindre?
Se dire: là, c’est le moment, je suis heureux,
A cette minute, à cette seconde, je prends ce que je veux.
Etre assis dehors sur un banc, un verre à la main,
Siroter sa boisson en écoutant les chants sereins
Des hirondelles qui s’amusent à se poursuivre dans le ciel bleu,
Ou ceux du rossignol à la fois gai et amoureux.
Est-ce que le bonheur, c’est de prendre le temps
De regarder jouer joyeusement ses enfants
Tout en les appelant fièrement ses merveilles, ses trésors,
En oubliant qu’avec eux, on n’est pas toujours d’accord?
Est-ce de profiter en gourmet d’un bon repas,
Entouré de sa famille ou d’amis riant aux éclats?
Est-ce de sauter d’un avion avec un parachute
Pour se gonfler d’adrénaline qui dangereusement électrocute?
Est-ce qu’un dîner surprise aux chandelles
Ne fait pas dire aux amoureux que la vie est belle,
Ou faut-il gagner beaucoup d’argent à la loterie
Pour penser qu’enfin le bonheur s’étreint et nous sourit?
Est-ce un état passager, éphémère et flexible,
Ou un rêve illusoire, à tout jamais inaccessible?
Est-ce une philosophie d’esprit qui se travaille et enivre
Pour entretenir contre vents et marées une immuable joie de vivre?
A chacun ses essais, ses rêves, ses constructions d’argile
Qu’il faut jour après jour consolider, même si elles restent très fragiles.
Les encouragements

Naïvement j’ai fait lire mes écrits à mes parents,
M’attendant en retour à des applaudissements.
Ils ont critiqué la faute d’orthographe, les erreurs de frappe,
Sans qu’aucune remarque positive ne leur échappe.
Ma mère désapprouve certains mots, trop excessifs à son goût,
Mais elle n’a pas une pensée pour mon projet si fou,
Son originalité, comme si elle ne voyait pas l’investissement de mes efforts.
D’un seul coup, elle me rogne les ailes, mon courage, mon essor,
Surtout quand elle évoque les essais littéraires de sa sœur
Qui décharge dans des nouvelles les blessures de son cœur.
Et mon cœur à moi, qui donc s’en préoccupe ?
Il s’agit de mes écrits : on les ignore, on les culbute.
Même mon père, qui n’y connaît rien,
N’a pas un mot d’encouragement pour mon bien.
Je ne lui demande pas d’aimer, encore moins de s’extasier.
Il pourrait cependant gentiment s’exclamer : quelle bonne idée !
Cette petite phrase, qui n’engage à rien, fait toujours plaisir,
On peut la sortir sans vouloir juger et aussi sans mentir.
La réaction de mon mari sonne encore bien pire.
Elle me coupe l’envie de continuer et surtout d’en rire :
Les thèmes que j’aborde ne lui parlent pas,
Me lance-t-il crûment, sans pour autant accepter le débat.
J’ai du mal à le croire : l’homme qui soi-disant m’aime
N’est pas sensible aux sujets qui me blessent, aux problèmes
Sur lesquels j’ai besoin d’écrire pour m’en soulager.
Qu’aime-t-il donc en moi ? Sûrement pas mes pensées,
Ni tout ce qui me traverse et se bouscule dans ma tête.
Son désintérêt me fait l’effet d’une tempête.
Je ne suis pourtant pas qu’un corps doué pour l’envoûter.
J’ai des envies aussi, désireuses d’être écoutées.
Le constat tombe : je suis seule, même si l’on m’aime.
Seule avec mes pensées, mes rêves, mes dilemmes.
Tant pis ! Comme disait si bien Cyrano l’Incompris,
Comme je le suis moi-même aujourd’hui,
Je ne monterai pas bien haut peut-être,
Mais je grimperai toute seule, libre de paraître
Plus confiante, plus passionnée, plus intelligente,
Et surtout libre d’approuver sans les autres tout ce que je tente.
Les merveilleux réveils

Ce matin encore, avant qu’il se lève pour partir à l’école,
Dans son lit, tout contre lui, je me colle.
Blotti entre mes bras, son petit corps si chaud, si doux
Fait monter à mes yeux des larmes d’un bonheur fou.
Sa voix fluette d’enfant, si gaie, si tendre,
Me murmure des « maman, maman, je t’aime », à se pendre.
Un bien-être immense m’envahit.
Ces mots d’amour remplissent mon cœur comme au creux d’un nid.
Je pose mes bras sur son ventre rebondi,
Je le serre, je l’embrasse ; de son odeur je me nourris.
Demain encore je me faufilerai au réveil
Pour capter la douce chaleur de son corps en sommeil.
J’en profiterai encore, je l’espère, de longues semaines,
Avant que l’adolescence hélas ne me le prenne.
Main dans la main

Tu m’as aimée à trente ans, dans l’euphorie de notre rencontre.
Dix ans plus tard, tu m’aimes encore, malgré quelques écarts de ventre.
Au coin de nos yeux ondulent de modestes rides qui concentrent
Toute l’énergie de nos sourires et de nos débats à pour ou contre.
Me trouveras-tu toujours belle quand j’aurai soixante ans ?
Avec le temps ma peau deviendra flasque et se craquellera.
Des veines tordues s’imprimeront en bleu sur mes jambes et sur mes bras.
Même mes éclats de rire se casseront contre l’usure de mes dents.
Bien sûr je pourrai feindre en colorant mes cheveux.
Je porterai des bas pour envelopper mes mollets gonflés,
Des chemises aux manches longues, même au plus fort de l’été,
Et je noircirai le maquillage correcteur autour de mes yeux.
Mais à soixante-dix ans, pourrai-je encore tricher ?
La teinture qui dissimulera la plupart de mes cheveux blancs
Sera impuissante à repousser les touffes grises de mon triangle béant.
M’aimeras-tu encore si j’arbore une toison salie, tristement disséminée ?
Notre amour, s’il survit, se nourrira de souvenirs.
Il devra s’habituer à la grotesque laideur des corps,
Oublier les caresses, se contenter de l’âme hors de son décor,
Tout en espérant avancer main dans la main vers ce qui nous restera d’avenir.
De six à huit

Six heures. La nuit tombe, les fenêtres se ferment.
Dans leur chambre les enfants révisent pour mettre en germe
Les leçons de la journée et préparer celles de demain.
Puis ils jouent, ils lisent, ils n’ont pas encore faim.
Moi, dans mon fauteuil, j’aimerai qu’ils m’appellent.
J’ai encore en mémoire des histoires à raconter, si belles.
Les doigts me démangent de pousser des voitures, des billes,
De construire des circuits, des avions de papier perdus en vrille.
Mais c’est fini. Ils n’ont plus besoin de moi. Le temps a coulé.
Je trône désormais, inutile, solitaire, tristement désoeuvrée.
J’ai tant envie d’un verre, pour supporter les minutes.
Il me faut un remontant, une aide, un parachute.
Dans une heure environ je pourrai servir le dîner.
Tout ce temps à attendre, sans rien d’autre à souhaiter
Qu’un peu de compagnie, une occupation, que les secondes s’accélèrent.
Bon dieu ! Je ne pense à plus rien d’autre qu’à ce verre.
Il me donnera une contenance, un rôle à jouer, une attitude.
Il se fera le fidèle compagnon de ma mièvre solitude.
Grâce à lui, je peux attendre sereinement, j’ai un ami.
Et ma foi, un second verre ne pourra qu’éclairer un peu plus ma vie.
