
Roman historique
De quoi ça parle?
1519
Ortensia Pallavicini vit en privilégiée dans une belle villa de la bourgeoisie génoise. Mais aucune muraille n’est à l’abri de la cruauté des hommes, surtout pour une jeune fille de dix-huit ans.
Frappée de plein fouet, ivre de vengeance, Ortensia refuse de se soumettre à l’humilité résignée prêchée aux femmes par l’arbitraire masculin et religieux de l’époque, ce qui l’entraînera jusqu’aux confins des Flandres, loin de son univers habituel.
Y gagnera-t-elle la paix de l’âme et du cœur de ceux qui sont allés au bout de leur révolte ?
Les personnages:
A Savone:
– Domenico Pallavicini, médecin
– Ortensia Pallavicini, Clarissa Pallavicini, ses filles
– Luca Albizzi, Bianca Albizzi, amis des Pallavicini
– Vittoria Luinaborni, amie d’Ortensia
– Jan Van Hulsten, marchand brugeois
– Paolo Ricario, hôtelier
– Chiara, servante d’Ortensia
– Pietro, serviteur d’Ortensia
A Gênes:
– Sandro Pallavicini, marchand-banquier, frère de Domenico
– Maria Pallavicini, sa femme
– Jacopo Nardi, armateur
– Mario di Batucci, capitaine de la Santa Madalena
– Tommaso Della Francesca, hydraulicien
A Bruges:
– Leonardo Donati
– Marguerite Donati
– Dona Lucrezia, gouvernante des Donati
– Juliano Bardi, Luca Bardi, commis des Donati
– Roger Van Brubelch, connétable
– Battista Marinellis, peintre
Chapitres
Pour une danse
Un navire marchand
De port en port
Les brumes du Nord
Un marchand de Bruges
La prison
Un peintre de la Réforme
La porte de Gand
Une mine en Allemagne
Extrait
─ Je l’espère aussi car cette demeure n’est vraiment pas agréable. J’aimerai bien comprendre pourquoi vous, une femme, vous trouvez enfermée ici. Est-ce parce que vous avez commis un délit en vous habillant en homme ?
─ C’est un peu ça, soupira Ortensia. On m’accuse d’être une sorcière et on va me brûler vive dimanche.
Le jeune peintre fut si stupéfait qu’il resta sans voix quelques instants, comme s’il réfléchissait, à court d’arguments pour exprimer sa compassion quand son caractère le poussait naturellement à parodier le burlesque des situations et à s’emparer du ridicule des gens. Face à l’aveu empreint de dignité de sa compagne de cellule, les mots lui manquaient. Le rire se cachait, désolé, pour aller se terrer au loin. Heureusement, son apathie ne dura pas longtemps, vite renversée par une vague fougueuse bouillonnante de colère.
─ Quel monde stupide où les gens croient à la pierre invisible, aux monstres, aux humains qui se transforment en loups-garous dévoreurs d’enfants, s’exclama-t-il d’un ton désabusé. Une vache qui meurt, un mouton malade, un enfant qui se noie, un incendie dans la grange, un homme qui devient impuissant, une femme qui périt en couches, voilà les signes qui prouvent soi-disant l’intervention de Satan et de ses créatures. Dans l’atmosphère engendrée par de telles croyances, chacun peut évidemment être coupable, le moindre geste un peu inhabituel, la moindre parole bizarre, la plus petite jalousie d’un voisin, la plus minime utilisation d’un médicament à base de plantes peut faire office d’accusation de sorcellerie. Et rares sont ceux et surtout celles qui en réchappent. Vous a-t-on accusée de quitter votre maison chevauchant un balai pour vous rendre au sabbat rencontrer le bouc noir sous les traits duquel se cache le maître des enfers ? Vous a-t-on torturée ?
─ Non ! s’écria Ortensia, horrifiée.
─ C’est déjà une chance. En général, on interroge les suspects en ayant recours à la torture car elle fait avouer tout ce que les juges veulent entendre. On ne résiste pas au fer rougeoyant, à la corde et à l’eau. L’exécution suit la confession ainsi arrachée dans les supplices.
─ Je n’ai rien avoué. Mais je suis une femme et je m’étais déguisée en homme. C’était déjà trop pour les moines. ─ Hélas, la religion chrétienne n’apprend qu’à souffrir et elle persécute effectivement surtout les représentantes du beau sexe.
─ Croyez-vous qu’on va me torturer ? balbutia Ortensia.
─ Ma pauvre enfant, je l’ignore. Je ne sais que dire, sinon qu’il va vous falloir beaucoup de courage.
Le peintre se tut, incapable de réconforter le malheureux visage abîmé par les larmes et la détresse qui se dressait en face de lui, doux et terrorisé, accusateur aussi, lui semblait-il, puisque lui ne pouvait rien pour l’aider.
C’était peu dire qu’elle allait souffrir. Le bûcher était la plus douloureuse des exécutions. Les autres, celles qui décapitaient ou pendaient, assenaient une mort trop violente et rapide pour que le condamné souffre vraiment, mais la mort par le feu ! Après l’exécution, on laissait pourrir les corps des pendus au gibet ou on coupait les corps en morceaux et on les exposait à travers la ville, mais après tout, les malheureux étaient morts et n’avaient donc plus à se soucier du sort réservé à leurs cadavres. Alors que les flammes détruisaient tout, lentement, elles léchaient peu à peu, voraces, ardentes, sans répit. Elles s’agrippaient aux membres, martyrisaient la chair vivante, ne laissant sur place qu’un petit tas de cendres dans lesquelles résonnaient à l’infini les cris à l’agonie des suppliciés.