Extraits de ” Envoyer son ex au diable”

Extrait 1

– Oh moi, je pourrai me vanter d’avoir tiré le lot de l’ex le plus salaud que la Terre ait enfanté, déclama Olivia sans un sourire, sans une once d’émotion, tellement elle avait le cœur glacé, bloqué à l’intérieur par une gangue de plomb que chaque mot dur de son ex, chaque mauvaise action, alourdissait un peu plus. Vendredi dernier, les filles l’ont attendu toute la soirée, alors qu’il était sensé les prendre à 18 heures. Il n’a pas téléphoné. Rien. Il s’est pointé le lendemain à 11 heures, avec sa désinvolture habituelle, sans donner ni explications, ni excuses et il a crié sur les filles qui n’étaient pas prêtes à partir illico presto. Durant tout le trajet, il leur a dit des horreurs sur moi, notamment que je me tapais tous les mecs du village.
            – Quoi? Ce n’est pas possible, protesta Eline, complètement abasourdie.
            – Si, je t’assure. C’est Pauline qui m’a répété quelques jours plus tard qu’il m’avait traitée de pute, elle en pleurait. Vous vous rendez compte ? Elles sont si jeunes. Comment pourraient-elles avoir le recul nécessaire pour comprendre que leur père est un menteur, qu’il les manipule exprès pour les opposer à moi ? En leur racontant en plus des horreurs. Il pourrait leur dire que je suis grosse, ou moche, ça me ferait moins mal, je crois. Mais ça, me rabaisser à leurs yeux de cette façon !
            Poussés par les mots amers qui se bousculaient hors de la bouche d’Olivia, deux ruisseaux jaillirent à leur tour hors de ses yeux. Ils criaient de tristesse tant ils avaient roulé dans la haine, la rancoeur, la méchanceté. Ils ne pouvaient plus se retenir de dégringoler. Ils devaient lâcher leur incompréhension, leur impuissance, leur colère aussi. Comment l’amour des débuts pouvait-il finir dans un flot d’ordures glauques à souhaiter tout effacer? Comment un homme qui avait aimé une femme en arrivait-il à la dégrader de façon si vile, à l’avilir à la face de ses propres enfants ? Eline et Mélanie ressassaient les mêmes questions incrédules. Elles butaient sur le même constat qui pourtant n’expliquait rien.
            – Quel salaud !
            – Je vous l’avais dit, murmura Olivia avec dans la voix une lassitude tremblante qui prenait le pas sur l’indignation. Je ne comprends pas pourquoi il inflige ça aux filles. Pourquoi il continue à exiger qu’elles viennent un week-end sur deux alors que la plupart du temps, il les laisse chez ses parents, après avoir déversé son venin contre moi.
            – Tes filles croient-elles les mensonges qu’il leur raconte sur toi ? demanda Eline.
            Elle avait deviné qu’Olivia, blessée d’avoir été traitée de pute par Lucas, redoutait également la souffrance qui en résultait pour Pauline et Lisette, messagères malgré elles d’insultes ignobles qui ne les concernaient pas et qu’elles n’auraient pas dû avoir à subir.
            – Je ne pense pas, puisqu’elles m’en parlent, voulut se rassurer Olivia. Elles savent que je ne couche pas à droite à gauche, elles voient bien que je ne couche avec personne. Mais ça les mine, elles se posent des questions. En plus, il n’est jamais content de leurs résultats scolaires. Il est instituteur et pourrait donc utiliser son expérience pour les faire réviser. Mais non, il se dégage de toute responsabilité et à la place, il leur crie dessus. Et quand elles lui téléphonent pour lui parler d’un film qu’elles ont vu au cinéma, ou d’une sortie avec moi, il ne pose aucune question. Rien de ce qu’elles vivent ne l’intéresse. Il ne les aime pas.
            – Alors pourquoi continue-t-il à vouloir les prendre ? s’indigna Eline. Cela n’a pas de sens.
            – Je ne sais plus quoi faire. Franchement, j’ai l’impression de vivre un cauchemar sans fin. Et les filles aussi en pâtissent. Elles sentent bien que leur père ne se comporte pas avec elles comme il devrait. Elles deviennent facilement irritables, elles ont perdu l’enthousiasme de leurs années d’avant, quand nous formions encore une famille. Pauline se gave de sucreries, pour compenser j’imagine, alors que Lisette, qui était si gourmande, toujours à quémander une glace ou des bonbons quand on se promenait, ne mange désormais que de la salade et des yaourts. J’ai peur qu’elle ne sombre dans l’anorexie. Lucas est en train de les abîmer, il les pervertit, mais comme il a un droit de garde, je ne peux pas m’y opposer. C’est horrible !


Extrait 2

Une peur sourde, glauque, immonde, qu’elle voulut mépriser, envahit Mélanie, la peur qu’Eline, alors que s’ouvrait sous ses pas la première page d’un nouveau roman d’amour, ne choisisse de s’y plonger à fond et rompe le pacte tacite dans lequel, malheureuses toutes les deux, elles s’étaient engagées afin de venir en aide à Olivia. La force d’un sentiment né dans l’enfance avait tellement de charme, il faisait replonger dans l’innocence des jeunes années, précieuses aux quadragénaires nostalgiques victimes de la fuite du temps.
            Mortifiée, Mélanie se força à se réjouir de cet élan de bonheur qui frappait à la porte de son amie mais ne put totalement cacher son angoisse. Tuer Lucas représentait un acte de soutien nécessaire envers Olivia, une mission sacrée, mais allait bien au-delà. C’était aussi pour elles que les deux jeunes femmes avaient décidé de partir en croisade, afin de trouver un nouveau sens à leurs vies dévastées. Que devenait cette croisade si un homme débarquait dans la vie d’Eline ? Aurait-elle encore besoin de s’accrocher à cette occasion glorifiante de se rendre utile ? Ne préférerait-elle pas plutôt se plonger avec allégresse dans le plaisir d’une relation toute neuve avec Mikaël, amoureux d’elle depuis l’école primaire ? Il y avait dans cette constance de quoi s’enflammer et perdre la tête.
            D’un simple regard jeté sur le visage devenu livide de son amie, Eline comprit la fièvre qui la bouleversait. Elles se comprenaient si bien. Un doux sourire effleura ses lèvres tandis qu’elle s’empressait de la rassurer :
            – Ne t’inquiète pas. Je n’ai pas couché avec Mikaël, et je ne sais pas si je vais coucher avec lui. Nous n’avons commencé aucune relation, à part celle qui s’ébauche entre deux personnes appréciant de parler ensemble d’un passé commun. C’était agréable de me retourner si loin en arrière avec quelqu’un qui m’avait connue et appréciée si jeune, agréable aussi de casser un peu mon désarroi en racontant la fuite simultanée de mon mari et de mon amant à un homme qui m’admire. Une partie de mon ego en a été regonflée et ça m’a fait beaucoup de bien. De là à envisager de m’engager dans une relation plus sérieuse avec lui, franchement, il y a un pas que je n’ai pas envie de franchir, du moins pour l’instant. Je sors à peine d’une terrible désillusion amoureuse, je ne vais pas replonger au pouvoir d’un homme et avoir à subir ses mouvements d’humeur, ça non. Ils m’ont fait trop de mal.
            – Est-ce que cela veut dire que…
            – Je ne vais pas te lâcher, coupa Eline. Cette mission, que nous pourrions intituler « sauvetage d’Olivia », nous allons la mener à bien toutes les deux.
            – J’ai vu arriver le moment où j’allais me retrouver seule, avoua Mélanie.
            – Parce que j’ai passé quelques heures avec un ancien amoureux ?
            – Pas si ancien que ça puisque son amour pour toi est toujours d’actualité.
            – Ce n’est pas une raison pour m’enflammer à mon tour.
            – J’ai eu peur parce que, sous son regard, tu t’es sentie désirable et que ce regard t’a rappelée combien tu pouvais plaire, il t’a ouvert d’autres portes.
            – Crois-moi, il faudrait plus que deux yeux admiratifs pour me faire succomber, telle une adolescente romantique. Je te le répète, j’ai apprécié de discuter avec Mikaël et de passer un peu de temps avec lui, autour de quelques bières. Mais nous n’avons pas grand-chose en commun, à part nos années de primaire, et bien sûr, son béguin pour moi.
            – Ce qui doit te flatter…
            – C’est exact. C’est flatteur. Mais bon, je ne vais pas lui tomber dans les bras comme ça, pour le remercier d’être toujours amoureux de moi. En fait si on y réfléchit bien, je dirais que nous nous sommes retrouvés à un moment où cela nous a fait du bien de nous épancher, lui sur le départ de sa femme qu’il n’a à mon avis pas encore totalement digéré, et moi, sur celui de Christophe et de Laurent. Maintenant tu vas voir que ces retrouvailles ne vont pas être un frein à mon implication auprès d’Olivia. Au contraire, elles vont se révéler extrêmement utiles.


Extrait 3

Mélanie allait devoir entrer par effraction, comme un vulgaire voleur. A moins que… peut-être Lucas était-il parti sans verrouiller la porte ? Il habitait une rue si tranquille, si déserte, où on avait l’impression que tout dormait, que rien ne pouvait arriver.
            Confiante, elle tourna le battant du grand portail vert qui s’incrustait entre deux murailles de béton brut. Le loquet s’abaissa sans effort et le portillon s’ouvrit sur un chemin de dalles ébréchées, à moitié mangées par des poignées de plantes rases formant des buissons difformes, qui venait mourir en ligne droite sur une porte noire.
            Mélanie ajusta la capuche de son blouson autour de sa tête puis d’un pas qu’elle voulait alerte, le pas de quelqu’un qui exprime son droit à se trouver là, elle franchit les cinq mètres de dallage qui la séparait de la maison. Elle saisit la poignée entre ses mains gantées, la força à droite, puis à gauche. Malheureusement, rien ne bougea dans la serrure.
            Immédiatement elle fit demi-tour, afin d’éviter de rester végéter ainsi dans l’allée ouverte à tous et fouilla de son regard les grands carreaux fêlés à ses pieds, à la recherche d’un fragment de céramique, ou mieux d’une grosse pierre. Elle repéra un tesson pointu qui, lancé à pleine vitesse depuis la rue, semblait capable de briser une vitre. La jeune femme de son côté se sentait tout à fait apte à viser à cinq mètres, avec une précision suffisante pour atteindre l’une des fenêtres du rez-de-chaussée, juste à droite du meneau central. En passant la main à travers le trou ainsi béant, elle pourrait alors ouvrir le battant, l’enjamber, pénétrer dans la maison. Et comme elle ne volerait rien, sa visite passerait inaperçue. Lucas attribuerait le lancer de pierre à une action malveillante orchestrée par un gamin.
            Ce fut en se penchant pour se saisir de l’arme de jet qu’elle aperçut un éclat argenté briller entre les racines d’un des arbustes rabougris de l’allée. C’était les clés que Lucas, avec son assurance coutumière, avait cachées au ras du sol, ou plutôt avait posées, avec si peu de crainte.
            Il ne fallut pas plus d’une minute à Mélanie pour s’emparer du précieux trousseau, trouver la clé qui s’ajustait à la serrure, s’infiltrer dans la maison et refermer la porte sur elle. Il lui restait quarante-cinq minutes pour fouiller.